Après une longue métamorphose et malgré un incendie en cours de chantier, l’ancien Sheraton de la place Rogier a fait place au Cardo Brussels, opérant sous la bannière Autograph Collection du groupe Marriott Bonvoy. Le plus grand hôtel de Bruxelles est un concentré d’espaces aux fonctions différentes, parfois imbriqués les uns dans les autres, générant une complexité sans pareille pour sa rénovation. De multiples architectes, designers et autres intervenants y ont donné le meilleur pour un résultat unique et stylé, empreint de belgitude dès l’approche avec l’autoportrait mondialement connu de René Magritte, « Le fils de l’homme », qui recouvre l’ensemble de la façade du bâtiment. A l’intérieur, la bande dessinée belge apporte une touche de fantaisie.
Nicolas Romero Oneto, directeur de Cardo Hotels, explique la vision du maître d’ouvrage : « Nous avons créé le concept Cardo Hotel spécifiquement pour repositionner vers le haut deux hôtels Sheraton à Rome et ici à Bruxelles, mais aussi mieux répondre aux souhaits des voyageurs d’aujourd’hui. L’idée est de séduire une clientèle de loisirs en plus de la clientèle d’affaires, en multipliant les expériences que peut vivre le client : spa, piscine, riche offre de restauration, le tout dans une ambiance qui ressemble à celle d’un boutique hôtel avec une identité propre à chaque hôtel, tout en profitant du réseau de distribution du groupe Marriott. »
La mission d’architecture du bureau Jaspers-Eyers concernait les niveaux de sous-sol et du socle, du -5 au +3, ainsi que les salles de réunion au 29e étage, l’espace spa wellness au 30e, les aménagements du 31e étage (piscine) et le nouvel étage technique en toiture. L’Atelier Ferier Bunis Architecture a quant à lui transfiguré la Ballroom, emblématique lieu de réception situé au niveau +2. Un autre architecte s’est penché sur l’aménagement du nouveau restaurant Akai Sora au 30e étage… tandis que le vaste restaurant Mediterraneo prévu pour l’automne 2025 au rez-de-chaussée du socle de l’hôtel est pris en charge par un bureau espagnol qui en fait un espace mêlant différentes propositions gastronomiques, style food court. Quant aux 24 étages regroupant les 532 chambres et les nouvelles suites du 23e étage, ils ont été gérés directement par le maître d’ouvrage, qui a fait appel à Saar Zafrir pour le design et Immo-Pro pour l’exécution.
Frédéric Maron est l’architecte en charge du projet chez Jaspers-Eyers : « Tout a débuté par une mise à nu de tous les anciens aménagements, à quelques exceptions près comme les cages d’escalier qui sont restées dans leur jus. L’étage technique en toiture a représenté la partie la plus importante au niveau du gros œuvre. Une démolition partielle de dalles entre le rez-de-chaussée et le niveau +1 a permis de créer une double hauteur pour le futur restaurant. Entre le +2 et le +3, dalles et poutres ont également été démolies pour offrir une double hauteur à l’accueil et au lobby. La façade du rez-de-chaussée du socle a été complètement déshabillée pour être remise à neuf dans le prolongement du socle côté Manhattan pour donner une uniformité architecturale à l’ensemble. » Historiquement, l’ex-Sheraton fait en effet partie du complexe Manhattan, qui abrite notamment des bureaux. Il partageait avec celui-ci nombre d’installations techniques (voir article suivant) et l’on peut même parler d’imbrication volumétrique à certains endroits. Verticalement, le complexe Manhattan n’est pas divisé en trois d’une manière nette. Ainsi, par exemple, des espaces de bureaux « dépassent » au-dessus du premier étage de l’hôtel, celui-ci reprenant sa pleine surface à partir du troisième étage. Par ailleurs, une partie des sous-sols sont communs.
Si le Sheraton avait sa réception au rez-de-chaussée, proche de l’accès de la galerie avec boutiques donnant directement sur la place Rogier, l’entrée du nouvel hôtel a été déportée du côté Boulevard avec un ∂
pré-accueil au rez-de-chaussée et puis un véritable accueil au niveau +2 avec le lobby, le bar, les espaces partagés, etc.
Outre un désamiantage nécessaire pour pouvoir aménager l’hôtel et ses services, la complexité du projet s’explique aussi par le nombre d’intervenants généré par le découpage du projet en autant de sous-projets. Frédéric Maron : « Ayant introduit les permis, nous avons un rôle de coordination globale et une responsabilité vis-à-vis des structures de base du bâtiment, les ascenseurs, les escaliers, le compartimentage, l’évacuation incendie dans un bâtiment en copropriété, … ce qui nous a demandé également de vérifier les interventions des autres bureaux d’architecture dans le cadre notamment des recommandations du SIAMU. Parallèlement, nous avons implémenté toute la partie design établie par Saar Zafrir au niveau des aménagements, avec une traduction de leur projet en cahier des charges et métrés, passant par une nécessaire coordination avec le bureau de project management. L’architecte est le personnage central amené à gérer la complexité, en tenant compte des désidératas du client, des aspects réglementaires, des contraintes techniques, des choix financiers, … et ce de l’emplacement des issues de secours au choix des matériaux. » Citons un exemple : les tôles en inox avec effet miroir que l’on retrouve en finitions un peu partout dans les espaces communs. Au plafond de la piscine – la plus haute de Bruxelles – elles ont fait place à une solution technique adaptée, l’inox ne réagissant pas bien dans une atmosphère chlorée.
Alexandru Bunis, architecte-associé à l’Atelier Ferier Bunis Architecture, a déjà une dizaine d’hôtels à son actif et est donc bien placé pour appréhender la complexité d’une telle rénovation : « Le maître d’ouvrage nous a confié le réaménagement de la salle de bal et des espaces attenants. Ce vaste espace en double hauteur accueillant jusqu’à 400 personnes peut être divisé en deux parties inégales grâce à des cloisons mobiles, pour plus de flexibilité. La mission était complexe par le fait qu’il fallait intervenir sur une enveloppe volumétrique existante, avec toutes les contraintes que cela implique. De plus, l’incendie de mars 2022 a entraîné une reconfiguration complète du projet, avec une réduction de budget d’environ 30%. Tout l’art fut donc de veiller à répondre aux souhaits de notre client dans le respect de ce nouveau cadre budgétaire, sans négliger ni les exigences de sécurité ni la polyvalence voulue pour les espaces, le tout en gardant le niveau de design exceptionnel correspondant à l’ADN de la marque Autograph Collection au sein du groupe Marriott Bonvoy. Notre bureau a également été chargé par le Maître de l’ouvrage de la demande de permis d’urbanisme concernant l’autocollant sur la façade représentant une œuvre de Magritte, permis que nous avons réussi à obtenir dans un délai record. »
L’intégration de toutes les techniques requises a constitué la partie sans doute la plus complexe du projet. Ainsi, par exemple, les équipements audiovisuels de pointe sont parfaitement intégrés de façon à rester quasi invisibles quand ils ne sont pas utilisés et des matériaux acoustiques (notamment des feutres fabriqués à partir de bouteilles en PET recyclées sur les murs mais aussi des lamelles en laine minérale formant des ondulations au plafond) ont été mis en œuvre pour garantir l’intelligibilité de la voix tout en répondant aux exigences de sécurité incendie. D’impressionnantes poutres avec points de suspension permettent l’accrochage d’éléments de scénographie et d’éclairage. La qualité des plans d’exécution élaborés par l’Atelier Ferier Bunis Architecture pour la Ballroom, intégrant toutes les techniques coordonnées, a permis aux entreprises de maintenir le planning d’exécution très serré et ce malgré quelques retards de fourniture de matériaux.
Mariage, lancement de produit, conférence, réception, team building, … le nouvel espace se prête donc vraiment à tout type d’événement grâce à la nouvelle configuration des lieux, aux possibilités de partitionnement et aux fonctions annexes, comme le bar ou la cuisine dédiée.
L’hôtel Cardo Brussels tel qu’on peut le découvrir aujourd’hui reflète le plus parfaitement possible ce que le designer avait imaginé au départ, et ce malgré les péripéties qu’a connues le projet. Grâce au professionnalisme des différents intervenants, Bruxelles et la Belgique rayonneront un peu plus dans le monde.
Nicolas Romero Oneto se réjouit du résultat : « Nous sommes ravis de présenter le prochain chapitre de Cardo Hotels, en choisissant Bruxelles comme deuxième destination après Rome. Chaque hôtel Cardo est différent, reflétant l’essence esthétique et culturelle de sa ville et offrant une expérience inégalée. Cardo Brussels illustre cette vision, avec Magritte et la BD belge comme fils rouges. Le chantier fut certes long et compliqué, avec notamment un renouvellement total des techniques, mais je crois que nous sommes désormais prêts à accueillir la clientèle pour les 20 prochaines années. »