Le 21 septembre dernier, le Centre Universitaire Zénobe Gramme accueillait une exceptionnelle séance de rentrée académique conjointe entre l’ULB et l’UMONS. Les récents travaux de reconversion, repris dans la programmation 2014-2020 du fonds FEDER et menés par la SM Lixon – Monument – Duchêne ont permis de créer dans ce bâtiment historique un espace magnifique et fonctionnel, propice aux enseignements et à l’épanouissement des étudiants. Regards croisés sur un chantier pas comme les autres, porteur d’enjeux majeurs pour Charleroi et exemple de durabilité par la mutualisation des énergies autour d’un projet commun réutilisant un bâtiment existant.
Inauguré le 28 mai 1911, à la veille de l’ouverture de la grande Exposition industrielle et commerciale de Charleroi, le bâtiment Zénobe Gramme retrouve aujourd’hui une nouvelle vie comme l’une des pièces maîtresses du nouveau CampusUCharleroi, alliant enseignement supérieur et universitaire, formation, recherche scientifique, diffusion de la culture scientifique ainsi que sensibilisation aux métiers scientifiques et techniques. La reconversion-restauration a débuté le 12 novembre 2020 pour (presque) s’achever pour la rentrée académique 2023. Travaux de stabilisation, de gros œuvre, de techniques spéciales et de parachèvement s’y sont enchaînés à un rythme soutenu. Seul le lot portant sur la restauration des façades, menuiseries extérieures et corniches est toujours en cours après avoir été décalé par le maître d’ouvrage pour raisons budgétaires.
Emmanuel Franc, Directeur Bâtiment Hainaut chez Duchêne : « Au sein de la SM, nous nous sommes réparti les rôles de manière à bien travailler ensemble, Lixon assurant la gestion du projet et Duchêne fournissant le conducteur de chantier principal. Pour ce projet de rénovation impliquant une grande part de restauration, il fallait quelqu’un d’expérimenté et de passionné par la restauration, raison pour laquelle Philippe Soltysik a quitté le chantier de la Chaufferie (ndlr : un autre chantier carolo de Duchêne, dont nous vous avons parlé dans un numéro précédent) pour rejoindre le Zénobe Gramme. Il a conduit ce dernier chantier presque jusqu’à la fin, Youri Kamalic prenant alors sa place pour la suite des parachèvements. Quant à Monument, leur expérience en restauration patrimoniale a été précieuse tout au long du chantier et ce sont eux qui sont actuellement à l’œuvre sur les façades. »
Classé comme monument historique en 2004, l’édifice hébergeait sur près de 12 000 mètres carrés des salles d’exposition grandioses, éclairées par trois grandes verrières, au service du savoir-faire technologique de l’époque, un majestueux hall d’honneur et de multiples lieux d’enseignement. Reconverti, il devient un écrin d’exception pour l’enseignement supérieur et universitaire mais aussi pour la recherche scientifique, accueillant en son sein le « Centre d’Excellence en Efficacité, Energétique et Développement Durable (C3E2D) ».
La reconversion comprend, entre autres, les interventions suivantes menées par une équipe pluridisciplinaire : la restauration du Hall d’honneur ; la rénovation, restauration des décors et reconstruction des verrières des deux salles principales, la Salle du Musée Industriel et la Salle des Machines ; la restauration des couloirs ; le réaménagement des cours extérieures ; la rénovation des façades dans leur état d’origine ; la réhabilitation des locaux intérieurs intégrant les nouvelles pédagogies actives du monde de l’enseignement.
Martin Monnart, ingénieur-architecte et partner chez archipelago, a suivi le projet depuis le début. « Nous avons déposé notre candidature en 2018, il y a 5 ans seulement. Dès le départ, nous avions un date-butoir précise, celle de la rentrée académique 2023, encore renforcée par la limite d’utilisation des budgets FEDER fixée au 31 décembre de la même année. Un pari un peu fou pour redonner vie à un bâtiment centenaire, qui plus est dans un piteux état, en y intégrant toute la technologie d’aujourd’hui, que ce soit en termes de programmation, d’enseignement, de recherche, de durabilité, de techniques … » “
Un pari relevé en conception par un duo d’architectes composé de Ma2 (Francis Metzger), spécialiste reconnu de la restauration patrimoniale, et archipelago, rompu aux projets d’envergure. « Sans compter les bureaux d’études, tels que BESP qui a fait un remarquable travail en stabilité. Le sous-sol était parcouru de galeries de mine et de vestiges de fortifications et nous nous sommes rendu compte que le bâtiment existant s’était affaissé, présentant une différence de niveau de 60 cm entre ses deux extrémités ! »
Comme l’explique Arnaud Bertouil, gestionnaire de projet chez Lixon, la première phase de travaux, celle du gros œuvre, a duré environ un an pour laisser place au début 2021 au marché suivant, le parachèvement et les techniques spéciales, qui a occupé les équipes jusqu’à la mise en service du bâtiment. Fondé notamment sur des arches en briques qui avaient souffert suite à des travaux menés alentour dans les années 60-70, le bâtiment a d’abord dû être stabilisé, lors d’une phase 1 riche en surprises. Tout aussi compliquée bien que mieux maîtrisée, l’étape suivante a principalement consisté en la création de nouveaux locaux techniques, dont certains en sous-œuvre, un véritable tour de force. Il a en effet fallu un étançonnement conséquent pour suspendre la coursive périphérique classée et ainsi pouvoir terrasser, après avoir prélevé ou protégé tous les éléments patrimoniaux comme les granitos et les escaliers. Youri Kamalic, conducteur de chantier chez Duchêne : « Un énorme travail d’inventorisation a précédé la déconstruction des éléments à préserver : carrelages, portes en chênes, garde-corps en laiton, globes de luminaires en verre soufflé, … Tout cela a été stocké en dehors du chantier afin d’être remis en place après restauration deux ans plus tard. En phase de parachèvement également, les méthodes de travail à employer étaient fonction du statut classé ou non de la zone de travail. C’était là une particularité du projet, zones classées et non classées sont fortement imbriquées. Les deux types peuvent se succéder tout au long d’un même couloir… ». Doter le bâtiment de techniques modernes comme le chauffage par le sol ou la ventilation sans dénaturer son caractère historique était donc un enjeu majeur. Ainsi, les gaines de ventilation sont bien visibles dans les locaux de cours et dans les bureaux, non classés, mais jamais dans le grand forum ou les circulations.
En parachèvement, il a également été fait appel à plusieurs artisans spécialisés dans un domaine spécifique de la restauration, par exemple pour les enduits dans le grand forum. Ou pour les luminaires du hall d’honneur, entrée principale classée au Patrimoine exceptionnel de Wallonie. Youri Kamalic : « Nous avons veillé à un maximum de coactivité de mai à juillet 2023, en fin de chantier. “
Il s’agissait pour moi de coordonner tous les corps de métier, qui n’ont pas forcément l’habitude de travailler ensemble, par exemple un restaurateur de luminaires et un électricien, pour rester dans le délai imparti. Et nous y sommes parvenus car tous ont adhéré au projet et joué le jeu. »
Un travail aussi méticuleux sur un chantier de cette ampleur (environ 20 000 m2), ce n’est pas monnaie courante et la SM s’en est remarquablement acquitté, comme le confirme Arnaud Bertouil : « Je pense en effet qu’il faut souligner la bonne conduite de chantier par Duchêne. Et leur gros travail sur le planning, ce qui n’était pas évident vu la taille du bâtiment et la temporalité souvent différente entre restauration et construction neuve, pour laquelle les rendements sont mieux connus à l’avance. »
Emmanuel Franc : « J’ai connu quelques projets de restauration dans ma carrière et ce qui m’a positivement surpris dans celui-ci, c’est la rapidité des prises de décision. Traditionnellement, dans pareil chantier, cela prend plus de temps. Si Zénobe Gramme a pu être prêt dans le délai imparti, on le doit notamment à l’énergie mise par le gestionnaire de projet mais aussi par le client pour faire avancer les choses. Nous n’avions pas le luxe d’attendre et donc nous harcelions les architectes et les clients. On ne peut pas dire que ce fut un long fleuve tranquille, mais chacun a mis du sien. »
Martin Monnart, interrogé à la veille de l’inauguration, confirme : « Des chantiers de cette envergure avec un important volet patrimonial prennent généralement 10 ans et plus. Pour celui-ci, tous les acteurs, de l’AWAP aux entrepreneurs, étaient conscients de l’enjeu que le projet représente pour Charleroi. C’est assez exceptionnel que ce bâtiment ait pu voir le jour en si peu de temps. » Un exemple à suivre donc, tout comme l’est le fait que plusieurs institutions se soient mises ensemble pour établir un pôle alliant enseignement et recherche appliquée, le tout en réutilisant un bâtiment existant. On peut considérer Zénobe Gramme comme un modèle, dans lequel une bonne dose d’intelligence collective a permis d’économiser une grande quantité d’énergie grise. »
L’entreprise Duchêne ne quitte jamais vraiment Charleroi, puisque quand s’achève pour elle le chantier Zénobe Gramme démarre celui de l’extension du métro carolo… à découvrir dans un prochain numéro de Construire la Wallonie.