L’arrivée des IA est une opportunité pour recentrer le métier de l’architecte sur l’essentiel : la maitrise d’œuvre

L’intelligence artificielle est actuellement sur toutes les lèvres lors des discussions de comptoir. Probablement les mêmes discussions qui durent avoir lieu dans les salons feutrés de la bourgeoisie industrielle au milieu du 19e siècle lors de l’arrivée des premiers trains sur le continent, de surcroit en Belgique. Les craintes de l’époque étaient nombreuses : le lait des vaches allait tourner, les têtes se décrocher au-delà de 70 km/h, … Aujourd’hui, les trains roulent à 300 km/h pour nous emmener en vacances ou à une réunion de travail et nous sommes toujours vivants ! Toutefois, se pose à nouveau la question : Pourrions-nous de nouveau perdre la tête ? 

Nous avons dernièrement publié un article dans une revue française en ligne spécialisée dans la recherche numérique en architecture (DNArchi.fr) pour retracer l’évolution des outils numériques de conception, d’optimisation et de paramétrage dans le monde de l’architecture et l’ingénierie en Belgique depuis 1997. Nous constatons que les ingénieurs en techniques spéciales intègrent depuis longtemps les outils numériques de paramétrage ou de simulation, les ingénieurs en stabilité sont plus frileux bien que les logiciels calculent beaucoup pour eux depuis de longues années et les architectes sont souvent les plus réticents. Enfin, les majors de la construction intègrent de plus en plus le BIM comme outil de productivité et redessinent les plans réalisés par… les architectes ! Dans ce jeu des interactions, il est paradoxal de voir les architectes un peu à la traine alors qu’ils sont réputés être les plus créatifs et innovants ! Demain, les nouveaux processus d’automatisation des tâches par algorithmes les rattraperont. Des agences telles MVRDV, Mecanoo ou Foster & Partners numérisent déjà toutes leurs archives pour intégrer l’IA comme outil d’aide à la conception dans les premières phases du projet. Plus généralement, la dataïfication des projets devient essentielle pour mesurer la réduction carbone des constructions et la contrôler, parfois bien au-delà de l’acte de construire. 

Est-ce grave, docteur ? Non, laissons aux machines des tâches formalisées et à condition que les architectes se reconcentrent sur l’essence même de leur métier : la maitrise d’œuvre, c’est- à-dire toute l’intelligence réelle du projet ! Dans une précédente Carte blanche, le président francophone de l’Ordre des architectes rappelait trois thématiques essentielles de la mission des architectes aujourd’hui : construire un patrimoine culturel, répondre à l’urgence climatique, être le maitre d’œuvre d’un des moteurs économiques de notre pays. Avec l’arrivée de l’IA, une opportunité s’ouvre à nous d’automatiser certaines tâches ingrates du métier et redonner du temps pour repenser le projet comme ce fut le cas au début du 20e siècle. Toutefois, les architectes ne pourront reprendre leur place de maître du projet que s’ils acceptent de s’approprier rapidement ces nouveaux outils mis à leur disposition. Car les IA génératives ne sont encore aujourd’hui que des outils. Elles peuvent contribuer à renforcer les tâches nobles de la conception et accompagner le projet tout du long jusqu’à la réception… à travers des outils pour optimiser les esquisses, le suivi administratif, les métrés, cahiers des charges, contrôler la maquette BIM, réduire l’impact carbone des constructions, automatiser certaines tâches de contrôle de chantier… A défaut, les autres partenaires de la construction risquent de l’utiliser et, finalement, se passer de l’architecte… Une IA générative a déjà réussi ce challenge en 2019 alors qu’on ne parlait pas encore de Chat GPT. Il n’est jamais trop tard pour en prendre conscience.

Dr. Pascal Simoens
Professeur à la faculté d’architecture et d’urbanisme de l’UMONS
Représentant des universités d’état (UMONS /ULiège) au Conseil National de l’Ordre des Architectes
Responsable R&D groupe d’ingénieurs Pirnay