La tour – 33 étages en surface et 136 m de haut – a la forme d’une ellipse. Le projet se situe sur une petite parcelle de terrain, coincée entre des axes de circulation très fréquentés et les voies ferrées. Tous ces facteurs réunis ont éveillé notre curiosité. À juste titre visiblement, car tant le fabricant des éléments en béton que l’entrepreneur ont indiqué qu’ils ont pu relever les défis grâce à une excellente préparation, à un certain nombre de solutions ingénieuses et à une bonne coopération.
Le décor est directement planté lorsque Pieter van der Zee, directeur technique de CRH Structural Concrete, attire notre attention sur le fait qu’un immeuble de 100 m de hauteur n’est pas nécessairement une tour : « Tout est question de rapport entre la surface au sol et la hauteur. Vous pourriez construire un immeuble de 100 m de haut, mais s’il est aussi large et profond de 100 m, ce n’est pas une tour ! » Dans le cas de la Silver Tower, il s’agit bien d’une tour. Nous pouvons donc continuer de poser des questions à Pieter van der Zee, mais aussi à Guy Lambrechts (ingénieur de projet pour le projet de la Silver Tower chez Ergon nv à Lier) et Yves Uyttenhove (directeur du chantier chez CIT Blaton sa).
GUY LAMBRECHTS : « La hauteur proprement dite n’est pas le plus grand défi. Selon les normes belges, il s’agit en effet d’un bâtiment de grande hauteur. Mais que vous construisiez dix niveaux, vingt ou trente, le dimensionnement et l’armature des colonnes seront ajustés en proportion. Finalement, vous faites le même calcul pour chaque hauteur et la problématique de base reste la même. Ce petit terrain dans une zone de trafic dense est une autre paire de manches. Un escalier a été installé au dessus des zones de chargement et de déchargement des camions pour orienter le personnel vers le chantier. Tout a été planifié de manière très rigoureuse. La construction des étages inférieurs a pris six jours par niveau, mais les étages supérieurs ont pu être réalisés en 4,5 à 5 jours. Lorsque vous élaborez les éléments préfabriqués, vous pensez également déjà à un montage efficace. Cette construction comprend 21 colonnes par niveau. Nous avons produit des colonnes qui s’élèvent sur deux niveaux. Lorsque vous placez ces doubles colonnes, vous prenez déjà de l’avance pour l’étage suivant, où il vous suffit de monter des poutres pour terminer ce niveau. Pour deux colonnes principales, nous ne pouvions pas utiliser cette technique, car cela aurait eu un impact trop important sur leur dimensionnement. Elles auraient été trop lourdes, ce qui aurait annulé l’efficacité d’un placement plus rapide. »
YVES UYTTENHOVE : « Pour nous, en notre qualité d’entrepreneur, la logistique et la planification sont, comme l’a souligné Guy, le défi par excellence. La planification très rigoureuse implique qu’un transport avec un minimum de retard affecte tout le planning de la journée. En plus de la planification très rigide, l’aspect sécurité devient encore plus préoccupant que d’habitude : de nombreuses personnes travaillent ensemble sur une petite surface, l’impact de toute chute d’objet est plus important, il faut déplacer plus de matériel, car il y a peu d’espace pour manœuvrer. Parfois, il faut aussi prévoir une bande de circulation supplémentaire pour tout organiser. Disons que pour un chantier ordinaire, quelqu’un consacre 25 % de son temps à la logistique, alors qu’ici, cela peut aller jusqu’à 50 %. »
PIETER VAN DER ZEE : « Nous avons, il y a quelques années, déjà construit de véritables immeubles elliptiques, comme l’Ellipse Building ou la Covent Garden Tower, également dans le quartier Nord de Bruxelles, avec des éléments fournis par Ergon nv. Ce bâtiment-ci n’est pas une ellipse, mais est constitué de deux arcs de cercle placés l’un contre l’autre, ce qui est en soi moins complexe. »
YVES UYTTENHOVE : « Un immeuble en forme d’ellipse a un impact majeur sur le chantier. Le géomètre doit constamment mesurer et tracer des points. En effet, vous n’avez pas d’angle droit sur lequel vous baser, donc vous ne pouvez pas tracer un axe droit. Le géomètre est par conséquent présent en permanence sur le chantier, mais cela exige aussi une bonne planification. »
GUY LAMBRECHTS : « La forme d’un projet a un très grand impact sur la production des éléments. Les poutres de façade à l’extérieur suivent toutes la forme arrondie. De tels éléments nécessitent plus de travail d’étude et sont complexes en termes de coffrage. Dans le cas d’une ellipse, le rayon change continuellement et la courbure des éléments varie encore plus. Ici, nous avons pu travailler avec le même rayon pour l’ensemble de l’immeuble et donc utiliser les mêmes coffrages pour toutes les colonnes et les poutres, moyennant une adaptation de la longueur. »
« Cela a également un impact sur les dalles alvéolées. Comme le bâtiment est arrondi, il faut trouver une solution pour que les éléments de plancher suivent finalement sa forme. Il faut soit poser chaque dalle alvéolée avec un rayon différent, soit les poser en ligne droite et à la fin, un coin reste découvert (voir photo). Cette pièce dite en forme de tarte devait initialement être coulée sur place. Nous avons imaginé une solution préfabriquée : un élément avec la structure d’une prédalle, qui est relié aux dalles alvéolées des deux côtés par une armature. Celui-ci nous a permis d’économiser beaucoup de travail de coffrage et d’étançonnement. Nous sommes constamment à la recherche de telles variantes. Dès la phase d’offre, nous pensons déjà à optimiser l’ensemble du bâtiment et à rendre le chantier plus facile et meilleur marché. Même lors de la réunion de chantier hebdomadaire, il y a toujours des questions qui se présentent auxquelles nous devons trouver des solutions plus optimales. Pour les éléments coulés sur place, nous examinons si des solutions préfabriquées ne peuvent pas augmenter la vitesse d’exécution. Finalement, il est possible de produire en usine quelles que soient les conditions météorologiques et donc d’accumuler de l’avance. Vous pouvez donc travailler encore plus vite. »
PIETER VAN DER ZEE : « La liaison des colonnes en V à l’entrée a été initialement conçue différemment, mais elle était pratiquement impossible à exécuter. Nous avons cherché une liaison plus facile. Cela a eu pour conséquence que chaque colonne avait un pied et une tête différents. Ce problème a été résolu en production au moyen de moules en EPS (polystyrène expansé) individuels, très précis, qui ont été remplacés à chaque fois dans le coffrage. De cette façon, chaque colonne avait exactement la bonne tête et le bon pied lorsqu’elle arrivait sur le chantier. »
GUY LAMBRECHTS : « La forme arrondie de l’immeuble proprement dit a également constitué un défi supplémentaire pour ces colonnes. La tête et les pieds des colonnes conjointes ne sont pas dans un même plan en raison de cette forme ronde. Dans ce cas, cela aide de pouvoir visualiser en 3D avec un programme comme Tekla. »
YVES UYTTENHOVE : « Non. Nous avons excavé les 8 étages en sous-sol en utilisant la technique Stross, à laquelle la préfabrication ne se prête pas. Avec la technique Stross, une dalle de sol est coulée sur le niveau -1 ancré dans les murs emboués. Une ouverture y est pratiquée – deux de 5 x 8 mètres dans ce cas-ci. Par ces ouvertures, le sol sous la dalle de sol est excavé au moyen d’une grue et d’une chargeuse sur chenilles. Lorsque le niveau est entièrement excavé, il est doté d’une dalle de sol, à son tour ancrée dans les murs emboués, dans laquelle on pratique de nouvelles ‘ouvertures Stross’ pour excaver le niveau suivant. Nous avons procédé ainsi jusqu’au niveau -8. »
« Grâce aux murs emboués, qui sont les fondations à grande profondeur de votre bâtiment, vous pouvez également construire en même temps en surface. La construction en surface est d’ailleurs plus rapide. Lorsque nous avons atteint le niveau -8, 24 étages avaient déjà été construits au-dessus. » « Pour moi, le niveau -8 était aussi une première, car je n’avais jamais dépassé 5 niveaux de profondeur avec la technique Stross. Ce projet a certainement été un beau défi à cet égard. Ventilation, étançonnement de murs extérieurs, travaux avec des vérins au niveau -7 pour maintenir la stabilité du bâtiment, accessibilité, pour n’en citer que quelques-uns, étaient tous des circonstances assez exceptionnelles. »
YVES UYTTENHOVE : « Pour une bonne logistique, il vous faut une bonne planification. Pour les niveaux en surface, nous avons opté en priorité pour la préfabrication pour une question de rapidité. Vous vous focalisez alors sur ce point et vous organisez le reste en plus. Je compare la logistique d’un chantier aussi complexe à celle d’un aéroport. C’est en fait l’organisation générale de votre ‘aéroport’ ou de votre chantier : On sait quels vols vont décoller et atterrir, tout comme on organise les transports qui doivent arriver sur le chantier. La communication est cruciale pour faire passer la planification générale à celle plus détaillée. Lorsqu’un chargement arrive sur le chantier, il faut savoir exactement ce qu’il contient, où il doit être acheminé, comment il va être déchargé et quand il doit repartir. Si on respecte un planning aussi serré, tout est possible, même sur ce petit terrain. »
PIETER VAN DER ZEE : « La surcharge du vent a certainement un impact sur la façade et le noyau, pas sur les éléments préfabriqués de ce projet. Seulement, ils peuvent être exposés à énormément de vent lors du montage. Les boucles doivent être très stables et positionnées très précisément vis-à-vis du centre de gravité. »
GUY LAMBRECHTS : « Afin d’absorber la surcharge du vent, le bureau d’études Greisch a conçu des bracons qui relient le noyau à la façade aux dix-septième et dix-huitième étages. Ces bracons augmentent l’effet de levier des étages inférieurs. Les bracons intègrent des vérins mobiles qui absorbent la surcharge du vent. Ils sont fixés au noyau d’une part, et aux colonnes de la façade d’autre part, ce qui signifie que nos colonnes ont dû absorber des pressions et des efforts de traction supplémentaires et ont donc eu besoin d’une armature supplémentaire. Grâce à cette intervention, le noyau des étages inférieurs n’a pas dû être encore plus massif. »
PIETER VAN DER ZEE : « En principe, il faudrait des poutres courbes, mais étant donné que la précontrainte est toujours en ligne droite, une poutre courbe n’a pas beaucoup de sens. Nous avons imaginé une forme spéciale en Z pour manipuler le centre de gravité de la précontrainte et éviter aux poutres de se déformer ».
GUY LAMBRECHTS : « Une optimisation dont je suis fier est l’élément en Y qui permet à la façade de s’enfoncer sur autant d’étages afin d’obtenir une forme de spirale à partir du 25e étage. Le ‘bras’ qui s’étend vers la façade avait à l’origine un diamètre de 250 mm et était relié à la section de base avec un diamètre de 500 mm. En concertation, nous avons décidé de rendre le bras conique. De ce fait, la transition entre l’axe principal et l’axe latéral a été rendue plus esthétique et constitue un élément visuellement attrayant. »