Cradle to cradle, durabilité, cycle de vie, réversibilité, réemploi, banque de matériaux, économie circulaire, … : ces notions prennent aujourd’hui le pas sur celles de recyclage et de performance énergétique pure. Alors, s’agit-il d’une nouvelle lubie ou d’une tendance de fond, voire d’une nécessité à plus ou moins long terme ? Un matériau de construction peut-il être qualifié de « circulaire » en tant que tel ? Nous avons tenté d’en savoir plus en écoutant plusieurs experts.
A l’occasion du récent Salon Batibouw, Steven Beckers s’est vu récompensé d’un Pioneer Award pour son travail de pionnier dans le domaine de la construction durable. Architecte certifié Cradle-to-Cradle, Steven Beckers est celui qui a importé ce concept il y a 10 ans en Belgique. En tant que professeur, il avait été le premier à introduire le concept de l’économie circulaire et ses principes aux nouvelles générations d’architectes belges. Il continue aujourd’hui d’inspirer par ses projets visionnaires (comme la plus vaste ferme aquaponique d’Europe sur les toits de l’abattoir d’Anderlecht). Interrogé dernièrement par Catherine De Wolf, postdoctorante à l’Ecole polytechnique de Lausanne sur la problématique de l’impact environnemental de l’économie circulaire appliquée à la construction, Steven Beckers tente de définir le concept : « J’hésite à donner une définition, car souvent, le public comprend que c’est du recyclage. Or, le recyclage utilise de l’énergie et diminue souvent la qualité des matières premières. On peut recycler tout et n’importe quoi, même les déchets nucléaires. Il faut donc éviter à tout prix de penser que recycler est suffisant. L’architecture « circulaire », elle, doit avoir un impact positif régénératif. A chaque cycle, on devrait gagner en valeur : revenir à de la matière plus pure, assainir l’environnement, économiser l’eau et l’énergie, nourrir les gens et créer de l’emploi. Le secteur s’est trompé en appelant ça économie « circulaire », je parlerais plutôt d’économie en spirale positive. »
Il y a un an déjà, Anne Paduart, postdoctorante au sein du TRANSFORM research and consultancy group du Architectural Engineering Lab de la VUB, secouait les consciences des participants au Pixii Expert Day en soulignant comment la signification du mot « durabilité » avait évolué dans le bon sens ces 10 dernières années. Là où on ne parlait jadis que de consommation énergétique, on englobe à présent de nombreux autres aspects, dont le choix raisonné des matériaux pour éviter notamment de produire des déchets en fin de vie du bâtiment. Et de citer un contre-exemple très en vogue pour le moment : coller des briquettes directement sur l’isolation. Cette solution est peut-être intéressante pour la performance énergétique du bâtiment, mais l’est beaucoup moins à long terme vu la difficulté à récupérer les matériaux. Il en va de même pour les techniques intégrées dans les planchers et murs en béton, certes plus esthétiques mais peu accessibles pour adaptations futures. Le conseil est donc de toujours privilégier les liaisons réversibles.
Comme le souligne Catherine De Wolf, les statistiques démontrent que le secteur de la construction produit un tiers de tous les déchets produits en Europe et plus d’un tiers des émissions globales de gaz à effet de serre : « Il est donc urgent de passer de notre économie linéaire (production, utilisation, déchets) à une économie circulaire (déchets transformés en ressources), où le réemploi permet de minimiser les impacts négatifs du secteur. (…) Depuis les années 70, les démolitions se sont succédé, tandis que le réemploi a diminué drastiquement. En effet, les labels et règlementations actuels ne prennent pas en compte l’énergie grise des matériaux ni l’application des principes de l’économie circulaire. Aujourd’hui, une démolition doit se faire le plus rapidement possible, et le planning des chantiers ne laisse plus de place au démantèlement qui permettrait de réutiliser les matériaux. » Des mesures politiques sont requises pour compenser la différence de coût entre un démantèlement et une démolition.